35 ans, et après ?

Bernard Emsellem, ancien directeur du développement durable et de la communication, SNCF, ancien président de Communication publique. Auteur de Mots-Bidons aux Éditions du Palio.

Clin d’œil affectueux pour notre Association. Célébrer un anniversaire est souvent piégé par la nostalgie ou par un moment de fête, parfois réduit à un épisode rituel de fin de repas dans un restaurant.

Ce peut être aussi, au-delà d’une rétrospective, un moment de réflexion, d’échange, voire de décision.

 Comme à l’accoutumée, Communication publique n’a pas fait dans la dentelle en célébrant son 35ème anniversaire, dépassant la référence aux chiffres ronds (les 10 ans, les 50 ans, les 75 ans…). L’objectif : faire le point sur les enjeux actuels et saisir des pistes d’amélioration.

 Où on est-on ? Comment évoluera la communication publique ?

 J’ai d’abord le déplaisir de vous faire part de la vitalité de la communication centrée sur la production d’information descendante. J’ai surtout le plaisir de constater que ce n’est pas la référence de la communication publique.

C’est peu de dire que notre univers public est, a été bousculé ces derniers mois par un tsunami de mises en cause des politiques publiques et des décideurs publics. C’est ainsi que Parole Publique a consacré tout un dossier à l’incommunication, à l’absence ou la faiblesse de la communication. Les messages ne passent plus, ils ne sont plus les opérateurs du changement. On ne s’entend pas, on ne se comprend pas. Pire, certains acteurs multiplient sans états d’âme les divisions. Certains en font une stratégie. Les dissonances aboutissent à d’innombrables dissensus. Réaction attendue.

 Deuxième tsunami : tout a été dit avec emphase et consternation sur ce phénomène de mise en cause des équipes au pouvoir. Et ce n’est pas un feu de paille ni un « acte isolé » : on le perçoit de partout. Selon le Financial Times, toutes les élections organisées cette année dans les pays développés se sont traduites par des baisses pour les partis au pouvoir.

 Le spectacle donné par la dernière élection américaine a été éclairant : ce fut le règne de la différence, de l’opposition, de la fragmentation. Segmentations selon divers critères, installant et donc instituant des sous-populations, avec un cortège de prises de positions radicales et radicalement opposées.

 De la part des citoyens, on constate une forte attente pour construire avec les décideurs publics, une manière de vivre le collectif. Ne plus se cantonner à la réception de messages - fussent-ils bien ficelés par une Intelligence Artificielle Générative (quel nom !)-, donner la primauté à la construction du lien et de l’échange. Même si c’est exigeant. C’est ainsi que « écouter » n’a rien d’un verbe passif, c’est au contraire un verbe actif : on parle d’écoute active, pour faciliter l’échange. Et une forme première de cette relation est le respect, qui ne peut être efficace que s’il est réciproque.

Écouter n’a rien d’un verbe passif. La forme première de cette relation est le respect réciproque.

Rapide détour par le monde des instruments, tout particulièrement les outils du numérique. Il faut ne pas se laisser dépasser, utiliser la puissance et la finesse des outils/usages disruptifs, symbolisées par l’Intelligence artificielle générative. Tous les outils relèvent d’une compétence technique et d’une pratique (on dit « expérience » aujourd’hui !), aucune ne peut ou ne doit être marginalisée, au risque de perdre de l’efficience. Deux exemples ponctuels : la maîtrise de l’identité visuelle écarte toute exagération dans l’emphase, celle du communiqué de presse évite de déboucher sur la langue de bois. On évite ainsi d’être marginalisé, manipulé, séduit par le jeu des sirènes, pire, des influenceurs.

Bien sûr, l’exploration rapidement présentée ici est formulée d’un point de vue très général. Pour lui donner davantage de pertinence et de sens il faudrait croiser ces points de vue généraux avec des critères classiques ou récents d’analyse. 

Une des spécificités de la communication et de l’action publiques, c’est l’ancrage territorial.

Une des spécificités de la communication publique, c’est l’ancrage territorial. C’est un critère essentiel pour l’analyse comme pour l’action publique. Dans le monde moderne qui parle anglais (globish !), on parle de smart city. Mais ce n’est pas la ville qui est intelligente, ce pourrait être ceux qui la conçoivent et la gèrent : des acteurs intelligents (parfois), renforcés par l’écoute de ceux qui y vivent.

L’ancrage territorial est une spécificité de l’univers public. Certes, il existe aussi pour la distribution ou les réseaux, mais à un moindre degré. Aussi faut-il prendre en compte que le territoire est divers, dépendant de l’analyse : région pour les transports locaux ou régionaux, écoles pour l’enseignement primaire, communes pour les activités de loisirs, etc.

Du point de vue politique, l’ancrage territorial permet de sortir de la langue abstraite, pour ne pas dire de bois.

Les formules généralisantes sont inopérantes. Elles débouchent inévitablement sur des mots bidons qui sonnent creux.

Les formules généralisantes apparaissent dès que l’on parle global, elles sont inopérantes. Et elles débouchent inévitablement sur le monde des mots-bidons qui sonnent creux. C’est ainsi que l’on dit que les mots s’usent alors que l’on use les mots, que l’on parle d’intelligence collective plutôt que dire ensemble, de burn-out plutôt que d’épuisement professionnel, Prendre concrètement en compte les cas particuliers, les exceptions, les innovateurs, etc. conduit à s’intéresser à l’individu, à considérer sa situation, et par-delà celle de chacun des habitants. Cette écoute et considération rend possible un travail collectif pour un projet collectif du bien commun.

Clin d’œil final : la parole n’est pas seule concernée. Elle se doit d’être maitrisée mais cela s’applique tout autant à l’organisation et ses pratiques. Exemple des dispositifs pour un échange collectif sur une thématique partagée. Imaginons : une salle rectangulaire, une estrade en fond de salle, des chaises alignées en nombre suffisant. L’orateur s’adresse à la salle. Les participants le regardent, plus ou moins centrés. Que voient les participants ? La nuque ou la chevelure des personnes devant elles. La même situation, mais en mettant l’estrade sur le grand côté, les sièges en arc de cercle. Que voient les participants ? Des personnes en 3/4, avec leurs réactions tout au long de l’échange. Prêtes à débattre.

Nous aussi, et la porte est grande ouverte.