Les Humanités s’invitent dans le débat public

Pierre-Paul Zalio, président du Campus Condorcet, initiateur du Printemps des Humanités.

La première édition du Printemps des Humanités s’est déroulée à Aubervilliers du 21 au 23 mars. Pourquoi avoir choisi ce format festival pour engager le public autour des sciences humaines et sociales ?

Pierre-Paul Zalio – Le choix du festival répond à la nécessité de renouveler les modalités de transmission et de création du savoir, inspiré par des pratiques artistiques et musicales où la composition joue un rôle crucial, permettant ainsi une écriture collective et innovante du savoir. Le Printemps des Humanités est donc conçu comme un espace de rencontre entre les publics et les savoirs universitaires en sciences humaines et sociales. Le format festival permet de sortir des cadres traditionnels de la diffusion du savoir, souvent perçus comme rigides ou exclusifs, et ouvre la voie à une interaction réelle et à un échange vivant d‘idées, où le public ne vient pas seulement recevoir de l‘information mais également partager ses propres expériences et connaissances.

Le format festival sort des cadres traditionnels de la diffusion du savoir. Il ouvre un échange vivant d‘idées. Le public vient aussi partager ses propres expériences et connaissances.

Quelles ont été les réussites et difficultés de la première édition du festival ?

PPZ – La première édition a été marquée par une diversité réussie de formats et de dialogues, allant de discussions académiques à des performances artistiques, ce qui a permis de toucher différents types de public. La réussite tient aussi dans la capacité à mobiliser une équipe et à créer un événement qui s‘est bien intégré dans le calendrier académique et public. Toutefois, le principal défi reste de consolider la réputation du festival pour attirer un public plus large et diversifié, et d’établir des partenariats médiatiques durables. Nous avons été très heureux d’être accompagnés par Libération, AOC et par Sciences Humaines pour cette première édition. On espère être rejoints par un grand média audiovisuel l’année prochaine ; j’aimerais beaucoup que ce soit Radio France avec qui nous partageons des missions et des valeurs de service public.

Dans les médias, le temps alloué et les formats de présentation ne rendent pas toujours justice à la complexité des analyses de la recherche.

En cette période de crises multiples, qu’ont à dire les sciences humaines et sociales à notre société ? Quel est selon vous leur rôle spécifique dans le débat public actuel ?

PPZ – Un grand nombre, sinon la totalité des grands sujets de société qui sont adressés dans le débat public et politique, se nourrissent plus ou moins directement et plus ou moins fidèlement de la recherche en sciences humaines et sociales. S’agissant de l’école, de la fin de vie, du vieillissement, du sursaut démographique, des troubles géopolitiques dans le monde, du populisme, du télétravail et de la perte de sens du travail, des migrations et de l’immigration ou encore de l’Europe, le problème est de s’assurer qu’on met bien en connexion ces sujets avec des travaux de recherche qui les traitent. Sur tous ces sujets, la recherche en sciences humaines et sociales produit de la connaissance. Cependant, bien que régulièrement sollicitées pour leur expertise, ces disciplines font face à des défis de représentation médiatique inadéquate, notamment en termes de temps alloué et de formats de présentation, qui ne permettent pas toujours de rendre justice à la complexité de leurs analyses.

Cela appelle à former les chercheurs à mieux communiquer dans ces formats tout en travaillant avec les médias pour valoriser et respecter la profondeur académique.

Diriez-vous que les médias traitent convenablement et suffisamment les contributions des experts en sciences humaines et sociales ?

PPZ – Les contributions des experts en sciences humaines et sociales sont souvent sollicitées par les médias, mais pas toujours de manière optimale. Le format médiatique privilégie la rapidité et la concision, ce qui peut nuire à la présentation complète et nuancée des arguments et des résultats. Et puis, il y a une sorte de mise en équivalence des paroles portées, qu’elles soient des opinions ou des résultats scientifiques. Or un résultat scientifique n’est pas une opinion : le syndrome du « plateau Hanouna » est une véritable malédiction démocratique ! Cela appelle un effort continu pour former les chercheurs à mieux communiquer dans ces formats tout en travaillant avec les médias pour valoriser et respecter la profondeur académique. Il faut avoir en tête qu’on n’est plus dans une économie de l’information juste, on est dans une économie de l’attention. Ce que cherchent les médias, ce n’est plus prioritairement de communiquer de bonnes informations mais de générer de l’attention.

Un résultat scientifique n’est pas une opinion : le syndrome du « plateau Hanouna » est une véritable malédiction ! Les médias ne cherchent plus tant à communiquer de l’information juste qu’à générer de l’attention.

Quels sont vos projets pour accroître la visibilité des sciences humaines et sociales à l‘échelle nationale et internationale ?

PPZ – Pour augmenter la visibilité des sciences humaines et sociales, il faut d’abord améliorer les conditions de travail des chercheurs dont les oeuvres doivent être visibles, faciliter les échanges internationaux et faciliter les événements qui mettent en valeur leur travail. Le festival est un exemple de notre engagement à rendre ces disciplines plus accessibles et attrayantes pour un public large. L’édition 2025 explorera le thème de l’universel : dans un monde travaillé par les demandes identitaires, qui a peur de l’universel ?

Propos recueillis par Christian de La Guéronnière, directeur d’Epiceum et administrateur de Communication publique, avec Camille Sarthou, consultante en communication d’intérêt général chez Epiceum.

Le Campus Condorcet un pôle de référence mondiale pour les sciences humaines

Ouvert en septembre 2019 à Aubervilliers, ce campus international de recherche et de formation en sciences humaines et sociales (SHS) réunit 11 établissements et organismes de recherche français : CNRS, École des hautes études en sciences sociales, École nationale des chartes, École pratique des hautes études, Fondation Maison des sciences de l’homme, Institut national d’études démographiques, Universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Sorbonne Nouvelle, Paris 8 Vincennes - Saint-Denis, Paris Nanterre et Sorbonne Paris Nord. Il vise à développer un pôle de référence mondiale qui réponde aux défis pédagogiques, scientifiques et numériques du XXIème siècle. Sur 6 hectares avec 40 % d’espaces verts, le Campus accueille plus de 70 unités de recherche et comprend 450 logements destinés à accueillir des étudiants et 88 pour les chercheurs invités. Un second site ouvrira en 2025 à Paris, Porte de la Chapelle.

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°31 de juin 2024