Sans communication, pas d’information !

Pour des états généraux de l'information ET de la communication.

Le Président de la République a annoncé en juillet le lancement des États généraux de l’information à l’automne 2023 avec des conclusions pour l’été 2024. La communauté des professionnels de la communication publique ne peut que saluer cette initiative, dans un contexte informationnel de plus en plus instable et évolutif, source à la fois d’opportunités et de risques majeurs pour la démocratie.

Afin de disposer d’une vision assez globale et pratique pour que les conclusions rendues soient systémiques et opérantes, il apparaît indispensable que ces États généraux associent l’ensemble des acteurs de l’espace public - au sens des lieux où les idées et les informations peuvent être échangées - et de la sphère publique - au sens des institutions et organisations du secteur public.

Une information n’existe que si elle est communiquée.

Certes, il est courant et spécifique à la France d’opposer de façon caricaturale information et communication, d’accoler à la première toutes les vertus et à la seconde les plus affreuses intentions. Pourtant un même champ de recherche regroupe en France les sciences de l’information ET de la communication depuis la création en 1975 de la 71ème section du Conseil national des universités. Alors que chez les anglo-saxons les communication studies embrassent aussi les questions liées à l’information, le chemin est encore long en France pour sortir les « communicants » de leur assignation à résidence dans l’opprobre de la com’. Ce vocable ravale trop souvent leurs métiers au rang d’outils de propagande au service des puissants ou des marketeurs.

Concrétiser le droit à l’information du public, éclairer les choix des citoyens, permettre le dialogue avec les autorités politiques.

C’est oublier qu’à l’heure des réseaux sociaux, le feedback, formalisé par Shannon dans la théorie de l’information, est devenu un boomerang hypersonique. Or la communication est bien l’art, ou la pratique, de partager des informations, ce qui implique de penser le récepteur au moins autant que l’émetteur et le message. Pas d’information sans communication. Comme le répète Dominique Wolton, « informer n’est pas communiquer » : une information n’existe que si elle est communiquée, que si elle touche sa « cible », au plan du signifiant - les aspects plus matériels du message - comme du signifié - les représentations issues du message. En l’absence de communication, l’information n’est qu’une série de bits sur un serveur, de traces sur un feuille, d’impulsions électriques dans les synapses d’un cerveau. La communication, étymologiquement, crée du commun. C’est l’ensemble des processus qui font vivre l’espace public, et donc la démocratie, en permettant la circulation de l’information, et donc l’exercice de leurs libertés fondamentales par les citoyens.

On peut même affirmer que, d’une certaine manière, une communication publique bonne et juste c’est de l’anticom’. Car il s’agit pour les équipes des services de communication de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics, d’accompagner le déploiement des politiques publiques en concrétisant le droit à l’information du public, consacré par les textes nationaux, européens et internationaux. Ce droit est le garant d’une démocratie moderne et robuste, en ce qu’il oblige à éclairer les choix des citoyens et à permettre le dialogue avec les autorités politiques.

La communication est l'un des quatre principaux leviers de gouvernement avec la législation, la réglementation et la fiscalité.

L’OCDE définit pour sa part la communication publique comme « la fonction administrative qui consiste à fournir de l'information aux citoyens, à les écouter et à leur répondre dans l'intérêt général ». L’équivalent britannique du Service d'information du gouvernement va plus loin en affirmant que « la communication est l'un des quatre principaux leviers de gouvernement avec la législation, la réglementation et la fiscalité ». Au « No taxation without representation » de la Révolution américaine, pourrait désormais s’ajouter « No representation without communication ».

Enfin, au regard de l’intensité des échanges et des conflits sur l’espace public induite par sa transformation digitale, ne faudrait-il pas compléter la définition même de l’État ? Le droit international coutumier, s’appuyant sur la convention de Montevideo de 1933, définit un État par le fait d’« d’être peuplé en permanence, contrôler un territoire défini, être doté d’un gouvernement et être apte à entrer en relation avec les autres États ». Mais un État peut-il être viable, et démocratique, s’il n’est pas en mesure de communiquer régulièrement avec sa population, ses agents et ses élus ? Les efforts de limitation des canaux digitaux par les États autoritaires confirment parfois tragiquement la dimension stratégique de la communication pour la démocratie.

Un État peut-il être viable et démocratique s’il n’est pas en mesure de communiquer régulièrement avec sa population, ses agents et ses élus ?

Le Forum sur l'information et la démocratie, qui met en oeuvre le Partenariat international sur l’information et la démocratie soutenu par une cinquantaine de pays dont la France, a ainsi rappelé que « l’espace global de l’information et de la communication est un bien commun de grande valeur pour la démocratie ». Ses 250 propositions en matière d’infodémies affirment la nécessité de penser la communication à travers les questions de transparence, de modération et de design des plateformes numériques et de leurs algorithmes. Car, comme l’indiquait dans le New-York Times en mars dernier, l'auteur de Sapiens, Yuval Hariri, « la langue est le système d’exploitation de la culture humaine » alors que la puissance de l’IA « nous offre des cadeaux éblouissants mais pourrait aussi pirater les fondements de notre civilisation ».

Nous, professionnels de la communication publique, sommes en première ligne des révolutions technologiques qui remodèlent sans cesse l’espace informationnel. En tant qu’acteurs et observateurs privilégiés du web, des réseaux sociaux et, maintenant, des grands modèles de langage, dits IA, nous disposons d’une expérience quotidienne, d’une expertise et d’une vision assurément utiles à toute réflexion prospective sur ces sujets.

Réfléchir à l’information des citoyens, c’est peut-être avant tout penser la communication publique.

Les membres de Communication publique, issus d’une communauté professionnelle participant de l’indispensable mise en relation des citoyens et des médias avec les pouvoirs publics comme de la mise en œuvre des politiques publiques, sont prêts à contribuer aux États généraux de l’information et déterminés à s’engager dans une démarche visant à garantir le commun nécessaire à tout débat démocratique. Car réfléchir à l’information des citoyens, c’est aussi, peut-être même avant tout, penser la communication publique.

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°30 d'octobre 2023