L’université au cœur des transitions

Entretien avec Valérie Gibert, vice-présidente de l'association nationale des directeurs généraux des services d'établissements publics et d'enseignement supérieur, directrice générale des services de l'université de Strasbourg.

Le prix de l'énergie explose : comment les universités font-elles face ?

Valérie Gibert - Des tensions sur l'approvisionnement et le coût de l'énergie existaient avant la guerre en Ukraine. Les prix ont augmenté de + 40 % en moyenne en un an. C'est un enjeu majeur, dont les universités et les établissements se saisissent en accéléré. Chacun peut imaginer ce que des coupures de gaz ou d'électricité entraîneraient pour les laboratoires de recherche, pour prendre cet exemple. Sans énergie, que deviendraient nos grands équipements scientifiques ?

L'Université a les cartes en main pour être pilote, démonstrateur et pourvoyeur de solutions. La transition est une question transversale. Or les DGS jouent par nature un rôle transversal. On doit innover, sortir de notre zone de confort. Et veiller à la faisabilité des réponses.

Alors, sans attendre les mesures nationales, nous sommes mobilisés sur des plans de sobriété. Il nous faut traiter à la fois, par la discussion et la sensibilisation, le court, le moyen et le long terme. Principales mesures d'urgence : démarrer le chauffage le plus tard possible, rester sous le seuil des 19°C, actualiser les plans de continuité d'activité ; mais aussi favoriser le télétravail et les cours à distance, optimiser l'occupation des locaux, voire fermer les plus énergivores d'entre eux. Tout est sur la table mais, bien sûr, les mesures seront décidées le plus collectivement possible.

Avec les étudiants ?

VG - Ils sont très concernés. On le remarque dans l'ensemble des établissements. Les chiffres parlent d'eux-mêmes puisque 85 % des étudiants se disent « inquiets » et 69 % « souhaiteraient être mieux formés sur les enjeux environnementaux », selon une enquête réalisée au printemps dernier par la Convention pour la transition des établissements du supérieur (CTES)*. Leur voix est souvent forte dans les instances représentatives. Selon les endroits, ils sont plus ou moins mobilisés. En tout cas, ils manifestent une exigence. Les former et les sensibiliser, c'est une mission de l'université, d'ailleurs inscrite dans la loi depuis décembre 2020. Il nous faut maintenant construire avec eux en multipliant les échanges, groupes de travail, forums… en ayant à l'esprit que la co-construction prend nécessairement du temps et que la participation est plus facile à mettre en place dans les petits que dans les grands campus.

En juin dernier, votre association a tenu un colloque « Urgences écologiques et sociales : l'administration universitaire spectatrice ou pilote ? ». Quelle réponse apportez-vous ?

VG - L'Université est une micro-société qui a toutes les cartes en main pour être pilote, c'est-à-dire acteur, démonstrateur et pourvoyeur de solutions, avec les élus, les services et tous les acteurs de l'Université.

Les directeurs généraux des services (DGS) jouent par nature un rôle transversal. Or la transition est une question transversale. On doit innover, sortir de notre zone de confort, mais aussi veiller à la faisabilité des réponses, qui s'articulent selon moi autour de trois axes : la formation aux métiers de demain, la recherche qui permettra d'apporter des réponses scientifiques, la vie de campus. Là, les DGS sont clairement aux manettes, qu'il s'agisse du numérique responsable, des politiques d'achat responsables, de la gestion des déchets, de la consommation énergétique des bâtiments, de mobilité durable, de biodiversité, de synergies à créer avec les collectivités locales...

La communication doit être associée dès le départ. Pour transcrire le changement des organisations en profondeur, travailler sur l'image de marque des établissements, en partant d'actions concrètes et significatives, dans une logique de preuves.

Avec quels outils ?

VG - D'abord il existe le label national Développement durable et responsabilité sociétale (DDRS). Pour y répondre, notre établissement a créé un service DDRS transversal garant d'une visibilité et d'une légitimité nouvelles au sein de l'organisation. On a également les bilans carbone qui sont d'excellents indicateurs de priorités : faut-il agir fortement sur les mobilités, la consommation énergétique, les politiques d'achat ? Ils sont les meilleurs antidotes au greenwashing car ils font sortir la communication de l'incantation, en apportant des données précises et factuelles.

Par ailleurs, on a toutes les actions autour de la qualité de vie au travail, qui s'articulent de plus en plus autour des enjeux de transition. Enfin, je veux mentionner un outil formidable qui consiste à travailler en petits groupes sur la « fresque du climat », un jeu de cartes créé à partir des données du GIEC qui reprend tous les mécanismes du changement climatique. Je ne connais pas mieux pour, en deux heures à peine, informer des causes et des conséquences, donner une vue d'ensemble et finalement faire prendre conscience de la gravité de la situation... C'est tellement important de partager le même constat si l'on veut trouver des solutions ensemble.

Quel rôle pour la communication dans la diffusion de cette culture commune ?

VG - Jusqu'ici, la communication n'a pas suffisamment intégré les politiques de transition. Pour être efficace, elle doit être associée dès le départ. Son objectif est de transcrire le changement des organisations en profondeur, de travailler sur l'image de marque des établissements, en partant d'actions concrètes et significatives, dans une logique de preuves : on dit ce que l'on fait, on fait ce que l'on dit. Tout le contraire d'une communication de surface, qui consiste à se proclamer champion du développement durable parce qu'on a installé trois ruches sur les toits… Il faut envisager la communication sur le long terme pour qu'elle accompagne les changements de pratiques.

Heureusement, aujourd'hui, le regard sur la communication change. Son importance stratégique ne fait plus débat. J'en veux pour preuve que l'État nous accorde désormais des financements pour des actions de communication et de sensibilisation ciblées. C'est totalement inédit.

À partir de là, le principal enjeu en interne est de réussir à partager la communication, à la décloisonner, à mobiliser tous ses acteurs dans une direction commune. Il s'agit aussi de renforcer le lien avec le territoire pour mener des actions ensemble, par exemple sur les plans de déplacement.

Le seul avantage des crises, c'est qu'elles appellent les gens à mieux travailler ensemble. J'y vois une raison d'être optimiste et de faire confiance à la nouvelle génération. Vis-à-vis d'elle, et de la société tout entière, Université doit rimer avec exemplarité.

Propos recueillis par Boris Schruoffeneger

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°29 d'octobre 2022