Parole publique n°29
Transition écologique : repenser la communication
Valérie Martin, cheffe du service Mobilisation citoyenne et médias, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).
Alors que nous vivons et consommons au-dessus des ressources de la planète, que la publicité, la mode, les évolutions technologiques permanentes nous poussent à accumuler et renouveler rapidement nos biens, il est temps de proposer une autre vision du monde, loin de celle nous faisant percevoir la croissance de la consommation comme la seule mesure de notre bonheur, et de questionner nos besoins pour les satisfaire tout en limitant leurs impacts sur l'environnement et la société. Bref, en adoptant une logique de sobriété. Concrètement, il s'agit d'embarquer nos sociétés dans un contre-récit qui dépasse le récit dominant actuel, car la croyance que consommer c'est le bonheur, partagée par des milliards de gens, a un coût écologique mais aussi social.
Les Français nous le disent aussi. Les résultats issus du 14ème baromètre Greenflex-ADEME 1 publié en mai 2021 l'illustrent bien : 88 % des citoyens trouvent que l'on vit dans une société qui nous pousse à acheter sans cesse ; 88 % des Français pensent que la publicité les incite à consommer toujours plus.
Ne nous voilons pas la face : ce n'est pas chose aisée que de repenser nos modèles économiques, nos modèles de production et de consommation et changer nos comportements. Preuve en est le fort paradoxe entre des aspirations croissantes à un autre modèle de société et des pratiques fortement ancrées dans un modèle consumériste. Cela implique forcément de changer nos habitudes, de questionner nos croyances mais aussi de dépasser certaines normes sociales, qui nous poussent à toujours vouloir le dernier vêtement à la mode ou à voyager en avion à des milliers de kilomètres pour un weekend. Il faut se poser la question de ce dont nous avons réellement besoin, réfléchir à son échelle et à la mesure de ses moyens. Mais c'est un chemin qui doit être accompagné, expliqué et encouragé.
C'est aussi tout un modèle économique des organisations qui est à repenser entièrement afin de dépasser un modèle linéaire fondé sur la vente en volume et la possession de produits afin de faire advenir un modèle circulaire fondé sur l'usage et le service.
Pour commencer à écrire ce contre-récit, il s'agit donc surtout de provoquer le changement à toutes les échelles de territoires, d'entreprises, de collectivités, et aussi inviter à l'engagement citoyen de chacun, dépassant ainsi les seules personnes engagées ou militantes. Les citoyens ne pourront pas adopter un mode de vie sobre sans l'évolution des offres de produits et de services ainsi que des infrastructures existantes. Ce qui renvoie au rôle majeur des entreprises, des collectivités territoriales et de l'État dans la transition écologique.
Et c'est ce nouveau paradigme qu'il nous faut expliquer encore et toujours pour dépasser la peur et le déni auxquels nous sommes trop souvent confrontés, empêchant d'avancer et d'agir massivement en ce sens. Pour créer l'adhésion collective et susciter le passage à l'action, nous devons aider chacun à se projeter vers un futur désirable. Pour paraphraser une partie du titre de l'ouvrage de Thierry Libaert « comment mobiliser (enfin) pour la planète » 2, il s'agit notamment de dépasser une vision purement environnementale des choses. Car parler de changement climatique et de biodiversité c'est également parler des questions de santé publique, d'économie, de géopolitique, de qualité de vie, de rapports à soi, aux autres, au travail, au temps, à la gouvernance… Bref de nos modes de vie et de nos relations avec les autres.
Co-construisons et proposons un nouveau récit de la sobriété et de la résilience, compatible avec les limites planétaires et en cohérence avec les cycles du vivant, sans laisser personne au bord de la route. Un récit inclusif donc, qui puisse faire évoluer nos représentations mentales et ainsi réenchanter notre imaginaire, loin des dissonances cognitives qui minent la volonté de s'engager. Un récit enfin qui crée un nouvel élan et qui impulse de nouvelles tendances plus vertueuses comme l'entraide, le partage, le don, mais aussi le réemploi et la réparation ou encore le jardinage mais surtout, le faire-ensemble...
Cela ne signifie pas une communication qui occulte les doutes, les menaces et les difficultés, mais une communication moins incantatoire, plus juste et transparente qui sache en même temps redonner espoir. Une communication qui apporte l'information indispensable pour comprendre les enjeux auxquels nous faisons face, mais dans le même temps une communication aussi plus sensible qui permette de faire le lien avec nos vies quotidiennes à travers des exemples concrets ou des images parlantes afin que chacun puisse se sentir touché personnellement, donnant ainsi l'envie d'agir ; je parle ici du lien émotionnel qui poussera à l'action car nous ne sommes pas que des êtres rationnels…. Loin de là, sinon nous aurions agi depuis longtemps !
Cela démontre que le changement de société ne se fera pas sans l'aide du monde de la communication, des médias et du monde culturel dans son ensemble (scénaristes, auteurs, danseurs, plasticiens, producteurs, chanteurs…).
Je vais ici concentrer mes propos sur le monde de la communication mais cela ne peut en rien occulter le rôle majeur de la culture dans la transformation de nos imaginaires, dans l'image du « monde de demain » transmise par les films, les séries, les musiques et toutes les œuvres culturelles.
En tant que puissant vecteur de transformation culturelle, la communication dispose d'un très fort pouvoir d'influence sur la société. Elle transmet des messages, des valeurs et des modèles culturels qui contribuent eux-mêmes à faire évoluer les imaginaires et les normes ou représentations.
Aujourd'hui, les messages, les stéréotypes et les représentations que la communication véhicule, en particulier via la publicité, sont majoritairement contraires à la modération de la consommation et donc à une réponse de la société aux enjeux climatiques et écologiques. Nous sommes dans une société où l'avoir prédomine alors qu'il faut aller vers une société alignant l'être et le faire. Vaste programme !
Or la filière communication peut mobiliser tout son talent afin de participer à l'émergence de nouveaux imaginaires plus compatibles avec la transition écologique et contribuer à valoriser les nouveaux modes de vie plus respectueux des humains et de la Terre : de nouvelles façons d'habiter, de se déplacer, de se nourrir, de s'équiper… bref, un nouveau vivre ensemble. Certains acteurs de la communication publique, de la communication des marques ou encore des médias s'engagent progressivement en ce sens.
À ce titre, le guide Représentations des modes de vie et transition écologique 3 porté par Entreprises pour l'Environnement, et auquel l'ADEME a participé aux côtés de nombreux autres partenaires, constitue une référence particulièrement intéressante. Il met en lumière les stéréotypes présents dans la publicité et apporte des propositions pour rendre désirables les comportements et modes de vie écoresponsables qui s'adressent aux acteurs de la communication et du marketing.
Nous avons également été partenaire de l'étude Des Récits et des Actes : La culture populaire au service de la transition écologique 4 menée par Place To B pour aider à comprendre comment les acteurs culturels peuvent susciter l'intérêt du grand public sur ces enjeux de transition écologique et lui donner envie d'agir. Cette étude faisait suite à celle publiée en 2015 Des images et de actes 5, regroupant les mêmes partenaires, dont l'objectif était d'identifier les types d'images les plus efficaces auprès du public sur les sujets environnementaux. Les résultats issus d'un panel de 40 participants peuvent sans doute inspirer les communicants dans la conception de nouveaux récits. Il en ressort notamment que pour mobiliser le public, le contenu du récit (intrigue, messages, personnes représentées...) s'avère autant important que sa forme (esthétisme, ton…). De plus, nous avons vu que pour qu'il soit encore plus engageant, le récit peut également être prolongé dans le réel. Proposer des ressources complémentaires pour aller plus loin, créer des espaces d'échanges ou impliquer le public dans la conception des messages permet d'augmenter son envie d'agir.
Mais pour réussir cette mobilisation, la communication doit se transformer en profondeur et s'engager dans une démarche sincère et transformatrice. La communication plus responsable pourra ainsi contribuer à son niveau à l'avènement d'une nouvelle société davantage en phase avec les limites et les cycles de notre planète, remettre le sens au coeur des dispositifs de communication et donner envie de passer à l'action.
L'un des enjeux est évidemment de lier communication et actes, discours et preuves concrètes. Cela signifie également ne pas privilégier la formule choc, le « bon mot » (« service neutre en carbone », « 1 produit acheté = 1 arbre planté »...), par rapport à la réalité des actions menées afin de ne pas induire le public en erreur et de ne pas freiner la diffusion de récits mobilisateurs et inspirants. Bref, dépasser l'affichage et la déclaration abusive, ne pas se contenter d'effet d'annonce, dépasser le greenwashing qui ne s'est jamais hélas aussi bien porté que ces dernières années mais contre lequel une forme de résistance s'organise (des ONG et, désormais, des collectifs citoyens comme « Pour un Réveil Écologique ») qui dénoncent ces pratiques notamment en interpellant directement les entreprises via les réseaux sociaux, les médias et, de plus en plus, via les tribunaux.
Rappelons-le, l'atteinte de la neutralité carbone inscrite dans les Accord de Paris impose la réduction drastique de nos émissions de CO2 et de notre consommation de ressources naturelles, donc des choix de société vers des modes de vie plus sobres. Et il y a urgence.
Il s'agit en outre d'avancer avec humilité et honnêteté. Les citoyens n'attendent pas des acteurs socio-économiques (entreprises, marques, collectivités…) qu'ils soient « parfaits » mais qu'ils aient saisi l'ampleur des enjeux, qu'ils agissent en cohérence et qu'ils s'interrogent réellement sur leurs pratiques et leur impact sur l'environnement et dans la société. La lutte contre les infox qui se déversent sur les citoyens et les consommateurs est également au coeur de ces questionnements. Les organisations, et notamment les marques, qui réussiront à résoudre cette équation (moins ET mieux, plus responsable, plus éthique, plus inclusif…) qui donnent des solutions et des alternatives, sans en faire un argument de com' iront dans le bon sens. Afin d'enrayer le déclin de la confiance du grand public dans les organisations et les institutions, un discours de vérité associé à la refonte de leur façon de communiquer constitue une réelle opportunité pour se frayer de nouvelles perspectives.
Au-delà, c'est la question de notre responsabilité qui au coeur de l'évolution des métiers de la communication et du marketing. Communicant, publicitaire, marketeur, chacun dispose d'un pouvoir d'agir pour réinventer son métier, pour le mettre au service de la transition écologique et de nouveaux imaginaires. Cela implique des changements profonds car l'adaptation de la fonction communication aux enjeux de la transition écologique s'inscrit dans un changement systémique incontournable mais difficile à engager.
Ces évolutions passent ainsi par un effort de formation important afin de mobiliser les responsables actuels et futurs sur les questions écologique, sociétale et éthique mais plus largement sur le passage d'une logique de compétition à une logique de coopération pour co-construire les solutions de demain. La formation constitue à ce titre un maillon essentiel pour s'approprier les enjeux systémiques de la transition écologique, encore trop largement méconnus par les professionnels de la communication et du marketing. D'ailleurs, on voit qu'une forte demande émerge du côté des jeunes professionnels en activité ou en devenir : les propos tenus par des étudiants de Polytechnique, AgroParisTech ou HEC lors des cérémonies de remise des diplômes témoignent d'une envie de « bifurcation »… Et il est de notre devoir de répondre à ces attentes en lançant des grands plans de formation tant sur les grands enjeux que sur les nouvelles compétences à acquérir afin de nous mettre sur la voie du sens et de la cohérence. Ces actions vont de l'offre au sein même des cursus des universités et des écoles, donc au niveau de la formation initiale, jusqu'à la formation continue au sein des organisations. Car les sujets liés au changement climatique et à la biodiversité s'inscrivent dans un monde complexe où l'incertitude est prégnante, ce qui nécessite de mobiliser des savoirs issus de nombreuses disciplines, et sans doute fondés sur une nouvelle pédagogie amenant à une transformation profonde de soi et du nous collectif.
Dans cette optique, et afin d'accompagner les professionnels de la communication dans leur nécessaire évolution, l'ADEME met à leur disposition de nombreux outils comme le Guide la communication responsable, des études et analyses sur les récits et les imaginaires, des outils de mesure de l'impact environnemental des actions, et bien d'autres contenus et ressources pour réfléchir et agir à retrouver sur le site communication-responsable.ademe.fr
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